Table Ronde sur le CETA à l’UT 1 Capitole

Déroulement :

La Table ronde est animée par Mme Virginie Rozière, députée au Parlement Européen au sein du Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates., M. François Figuer et M. Bertrand Guérin, membres du collectif de citoyens indépendants « Collectif pour un commerce sain et démocratique», Dr Valère N’Dior, maître de conférences et M. Jacques Vonthron, Président de la Maison de l’Europe – Centre d’Information Europe Direct  de Toulouse et ancien fonctionnaire à la Commission Européenne et avec l’intervention de l’audience. 

La Table ronde est organisée par Open diplomatie, l’association des étudiants M2 « Juriste Européen » et les Jeunes Européens Toulouse.

Afin d’introduire le débat, la modératrice signale que celui-ci sera découpé en plusieurs parties. La première thématique abordée sera sur la transparence et le déroulement des négociations. La deuxième sera sur la libéralisation des marchés publics et enfin, la troisième thématique portera sur le mécanisme d’arbitrage qui pourrait être introduit avec ce traité.

Thème 1 : La Transparence


Question : Comment se fait-il qui le CETA, en négociation depuis 2014, est arrivé, depuis le véto des Wallons, sur le devant de la scène? Est-ce une instrumentalisation des médias?

Mme Virginie Rozière introduit le débat en soulignant que le CETA, tracté par son grand frère le TAFTA, posent tous deux des questions assez similaires mais qu’avec la concordance des calendriers, l’accord avec les États Unis a pris beaucoup plus de place sur la scène médiatique et a éveillé beaucoup plus de curiosité. En réalité, la question sur laquelle il est plus opportun de se pencher est «Pourquoi le CETA a émergé auprès du grand public?».  Afin d’y répondre l’eurodéputée explique qu’à partir du moment où les négociations sur le traité transatlantique se sont arrêtés, il y a une concordance avec le fait que le CETA faisait son apparition. Donc la question de la ratification s’est posée. Il y a eu, en plus de cela, une reprise en main des collectifs qui s’étaient déjà organisé autour du précédent projet. Par ailleurs, le fonctionnement institutionnel de la Belgique oblige les six parlements à autoriser le gouvernement pour débuter la procédure de ratification. Et donc cela explique pourquoi le véto du parlement Wallon sur ce projet a fait émerger le sujet. En conséquence pour elle, d’une part, il n’y a pas eu de volonté de cacher ce projet, c’était plus une indifférence, comme pour beaucoup de projets européens, et d’une part, il n’y a pas eu non plus d’instrumentalisation, car la commission européenne a fait part des documents aux médias pour que le grand public puisse en débattre. D’autre part, elle tient à préciser qu’en ce qui relève de la transparence et de la diplomatie, le secret dans la négociation commerciale est par essence présent.

M. Jacques Vonthron confirme les propos Mme. Rozière sur ses derniers arguments. En effet, il précise que comme pour toute négociation, celle-ci ne pouvait bien se dérouler sous les projecteurs des médias. Pour lui, jamais aucune institution n’a été aussi transparente avec les acteurs de la société civile. Sur le CETA, il y a eu continuellement après les négociations, des débriefings des états membres, du Parlement et axe la société civile mais également de nombreuses publications sur le site public de la Direction Générale Commerce ode la Commission. Donc au final, la présentation semble erronée et ne correspond pas à la réalité des faits, probablement parce que la société civile est de plus en plus exigeante et/ou ne va pas à la bonne source d’information.

M. François Figuer et M. Bertrand Guérin se rejoignent sur la question de la transparence. Pour eux, celle-ci n’était pas présente depuis le début car ils ont pu observer que les représentants des multinationales étaient largement plus présents pour l’élaboration du mandat que les syndicats et les représentants de la société civile. Ceux-ci ont été consultés environ 30 fois moins que les représentants des multinationales et de la finance à travers des grands réseaux de business tels que Grand Atlantic Community Network ou le Grand Atlantic Business Dialogue. Ils ont été mis en place il y a assez longtemps, puisque ces accords (le TAFTA et le CETA) sont le résultat de négociations qui ont commencé au moins dans les années 90. Bien évidemment il y a, d’après eux, de la part des négociants un partage des documents et un effort d’information avec plus qu’il n’en faudrait. Les intervenants tiennent tout de même à ajouter que le CETA fait plus de 500 pages avec plus de 1000 pages d’annexes rédigées dans un langage juridique qui n’est pas forcément accessible à tout le monde. Ceci convient alors de s’interroger sur la complexité des textes qui pourrait peser sur la transparence.

Un intervenant du public précise que si le rôle des médias était d’effectuer un travail de vulgarisation afin de justement condenser ces nombreuses pages de traités publiés, alors pourquoi ce travail n’a pas été fait en amont ? Celui-ci souligne que Bruxelles est tout de même l’un des lieux où la présence journalistique est l’une des plus fortes au monde.

Mr Jacques Vonthron répond qu’il semble y avoir un désintérêt médiatique et de l’opinion politique en matière de questions européennes. Il y a une situation  propre à la France, puisque la documentation de toutes les réunions avec la société civile montrent que parmi les groupes qui sont représentés, la participation française est alors trop faible. Par ailleurs, si la Wallonie s’est intéressée à la question, c’est parce que leur fonctionnement institutionnel le veut. l’Eurodéputée, Mme Rozière rejoint Mr Vonthron sur ce point, elle explique que sur la couverture journalistique, il est déjà difficile de placer une question européenne dans de grands journaux qui ne sont pas spécialisés en la matière.

Une autre intervention du public ajoute que si les médias traditionnels ne parlent pas d’Europe c’est parce que cela n’intéresserait pas, mais cela ne représente pas un réel problème puisque aujourd’hui il existe de nouveaux moyens de communication apportés par les réseaux sociaux. Par voie de conséquence, ce ne serait pas véritable désintérêt de la question européenne mais plutôt un désintérêt soulevé par la complexité technique que représentent ces sujets.

L’eurodéputée en profite pour répondre que l’éducation sur l’union européenne a été longue et qu’il y a eu un développement du réveil européen à plusieurs vitesses. Il est possible de voir en Allemagne que la question est plus présente. Des journalistes et des « lobbyistes » qui sont parfois pour les consommateurs, pour les défenseurs des animaux, pour les industries sont présents à Bruxelles. En France, il y a beaucoup de manifestation, mais un travail sur le terrain est également nécessaire selon elle.

Thème 2 : La Ratification

Question : Est-il possible d’avoir un État qui ne ratifierait pas cet accord? Même si en mars une partie sera validée, est-ce que l’on peut envisager des réponses négatives et donc avoir une Europe à deux vitesses?

Mme Virginie Rozière précise que les parlements sont libres dans leur délibération. Mais le problème se situerait sur les conséquences, elle informe qu’il y a là la présence d’un accord mixte. En général, les négociations commerciales semblent être des prérogatives exclusives à la commission européenne, conséquemment, ce qui en fait l’objet s’appliquerait à tous sans que les parlements aient leur mot à dire. Dans le cas présent, l’accord mixte dispose de prérogative commerciale mais qui concerne également des compétences nationales. En toute logique, si un état membre refuse de ratifier l’accord, ce ne serait que la partie qui relève des compétences nationales qui ne s’appliquerait pas dans la législation, les conséquences qui en découleront seront alors assez minimes. Une réelle remise en question aurait lieu si plusieurs États membres. Politiquement, il y aura une dynamique qui amènerait à poser des questions de manière un peu plus approfondies. Actuellement, le parlement Européen n’a pas ratifié, il a accepté l’accord à la majorité de 58% mais avec des différences nationales.

Suite à cela, Mr. N’Dior intervient en précisant que certains juristes ont alors essayé d’analyser l’accord et ont observé que celui-ci ne prévoyait pas une issue dans l’hypothèse où les États membres, les parlements nationaux ou régionaux ne le valideraient pas. Il semblerait en effet que cela soit une alliance qui irait au-delà d’un accord de libre-échange classique. Cela se présenterait comme étant un accord global qui, dans le cas présent, va à la fois permettre de mettre en place des règles qui feront sauter des barrières tarifaires mais qui visent également à une convergence dans les législations nationales dans les domaines tant sociaux qu’environnementaux. Que se passerait-il si une partie des états européens ne signent alors pas cet accord? Il serait possible de se retrouver dans un système à deux vitesses dans laquelle une partie se verrait appliquer des dispositions transitoires tandis que l’autre aurait accès à la totalité de l’accord. D’une autre part, il est tout de même probable que l’accord soit remis en question avec de nouvelles négociations. Certains pays ont déjà manifesté face à la ratification du CETA et qui plus est la Belgique souhaiterait saisir la cour de justice de l’Union Européenne afin vérifier si cet accord est bien conforme à l’ensemble du droit européen. Il ne semble pas y avoir de solution concrète en cas de désaveux. Tandis que de l’autre côté de l’Atlantique, au Canada, la chambre des communes a largement validé l’accord (257 voix contre 47). Visiblement, le Sénat ne reviendra pas sur cette volonté.

Mr Jacques Vonthron reprend la parole afin de préciser que les niveaux de développements économique, culturels, administratifs et politiques sont assez comparables entre les deux signataires. Auparavant, il y avait des niveaux tarifaires assez faibles, quasiment équivalent des deux côtés mais aussi des avantages comparatifs différents entre les deux entités. Il tient à souligner qu’il y avait surtout une grande demande, de la part des canadiens, d’individualisation face au « Grand frère du Sud ». En effet, l’essentiel du commerce du Canada (entre 2/3 et 3/4 selon que l’on prenne des marchandises ou des services) était fait avec les USA. Il y avait une volonté de pouvoir établir des flux commerciaux avec un groupe de nations proche en tous points. De plus, dans cet accord, les marchés publics canadiens, provinciaux et régionaux, sont ouverts au même titre que les marchés publics européens. ce qui a un impact très important parce que les canadiens n’ont jamais accordé une telle ouverture aux américains. Cela peut indiquer à quel point les canadiens veulent de cet accord.

Un membre du public intervient pour demander une précision. « Cet accord est là pour abaisser et annuler tous ces droits de douane et pas seulement pour rapprocher les législations. N’y a-t-il pas un risque par rapport à nos législations européennes plus protectrices notamment en matière de consommation ou d’environnement. Peuvent-elles être menacées ? »

Mr. Guérin répond à l’intervenant que la question est au coeur de l’accord. Il dispose qu’il s’agit d’éliminer tous les obstacles inutiles entre le commerce et le libre-échange, donc cela concerne toutes les lois et les règlementations. Tous les états peuvent émettre une loi qui peut réglementer, par exemple, l’environnement, sans que d’autres pays ne le fasse pour autant. Il y a donc une demande de règlementation harmonisée mais qui en même temps ne doit pas être un obstacle au commerce.

Mr. N’Dior reprend la parole. Pour lui, la question qui se pose c’est sur ce que le texte contient substantiellement. En effet, C’est dans la formulation du texte où se trouve la difficulté. L’accord affirme très clairement et à plusieurs reprises qu’il ne porte pas atteinte à la capacité des gouvernements à règlementer ou légiférer dans des domaines qui auraient, selon eux, de l’intérêt dans les matières sociales ou environnementales. Sur ce point, il arrive à presque un établir un fondement dans la protection des États membres. Il y là la présence d’un texte qui va inciter les parties à viser une plus grande convergence dans leur réglementation. Il faudra déterminer la note en matière de protection de l’environnement, de santé. La difficulté est que l’accord crée différents organes, notamment un forum qui est présenté comme étant destiné à faciliter la concertation d’un point de vue règlementaire entre chaque États sur une base volontaire. Ce que l’on crée ici c’est un organe qui permettrait aux états de se retrouver à intervalles réguliers afin de discuter concrètement de la manière dont ils pourraient faire converger leurs différentes législations. Cela amène à s’interroger sur la place de ce forum. Sera-t-il simplement un lieu de discussion ou un lien d’impulsion qui pourront ensuite être concrétisés par les différents États? Il y a des mécanismes qui sont dotés de fonctions générales qui mettent en avant le respect de la volonté souveraine des États membres. Il faut ensuite observer la manière dont ces États membres vont user de ces mécanismes, et comment ils vont converser avec leurs partenaires étatiques, avec les acteurs économiques mais également avec la société civile.

Mr. Vonthron ajoute que l’accord commercial annule toutes les barrières tarifaires, à l’exception de quelques contingents limités dans le temps pour des produits sensibles des 2 côtés. Quant aux barrières non tarifaires (sanitaires, phytosanitaires& environnementales) le dialogue s’établira en vue d’établir le maximum d’équivalences afin de simplifier et faciliter les échanges pour nos entreprises sans baisser nos standards. Concernant les gaz de schistes, les OGM, la viande aux hormones il tient à préciser qu’il n’y a aucun abaissement de nos critères sanitaires, environnementaux et sociaux au sein de l’Union Européenne, c’est à dire qu’aucun de ces produits n’entrera sur le territoire de l’UE puisque c’est notre loi.

Mr N’Dior précise que l’accord fait de nombreuses références à l’Organisation Mondial du Commerce. Ce qui signifie que le CETA devrait être tant analysé à la lumière des instruments européens qu’à la lumière des instruments préexistants concernant le commerce. Cela veut dire que les états auront une souveraineté pour règlementer ou légiférer à la fois en respectant le CETA mais aussi dans la continuité des engagements souscrits. Il faut, de plus, rappeler que l’UE est membre de l’OMC.

L’eurodéputée, dans son intervention, dégage que si un investisseur vient sur le marché européen, il sera nécessaire qu’il se conforme aux règles existantes. Ceci amène à la réflexion que ce n’est pas seulement un accord de marché commercial c’est aussi un accord de marché commun. Cela laisse comprendre que la question d’harmonisation n’est pas un problème, c’est ce que l’on fait dans le marché européen. Qui définit alors ces règles? Est-ce que on considère qu’il y a une nécessité de les définir en fonction de l’intérêt général et donc on fait ça dans un cadre démocratique? Ou est-ce qu’on laisse les entreprises s’autoréguler en considérant qu’on leur fait confiance ?

Une intervention du public revient sur le passage des USA vers le canada et donc vers l’UE qui serait présenté comme un contournement. La question est alors: qu’est-ce que cela va engendrer comme conséquence par rapport au commerce de l’UE et des USA?

 

Thème 3 : Arbitrage

Question : Une entreprise américaine pourra-t-elle user du mécanisme d’arbitrage contre un états membres de l’Union Européenne?

Mr. Ndior tient à clarifier ce point-là. Effectivement, le CETA crée un mécanisme juridictionnel arbitral permanent composé de 15 membres : 5 membres issus des États de l’Union Européenne, 5 membres du Canada et 5 membres des États tiers. Lorsqu’un contentieux sera initié, 3 d’entre eux seront choisis aléatoirement. Les affaires traitées le seront sur la base de violation avérée, potentiel des dispositions du CETA, ce qui n’implique évidemment pas des sujets comme la perte de bénéfice. Il est laissé entendre que le public ne sait pas de quelle manière cela sera étudié, que les entreprises qui ne seraient pas réellement implantées ne pourraient se prévaloir de ce système. Sur ce point-là il n’y a aucune certitude, on ne sait pas comment les arbitres vont interpréter leur domaine de compétence. Ce qui semble poser le plus problème, c’est le fait que l’on ne sait pas comment ce système peut s’articuler avec d’autres mécanismes préexistants. L’intervenant tient à dire qu’il existe déjà des accords bilatéraux, entre le Canada et plusieurs membres de l’UE, qui permettent déjà de saisir des mécanismes arbitraux sur la base des accords de Washington. Il est alors indiqué que les arbitres du CETA pourraient s’inspirer de précédents issus de l’OMC afin de trancher différents litiges qui lui seront soumis. Cela montre qu’il y a déjà d’une manière un rapport extrêmement étroit entre le CETA et l’OMC. Un flou persiste encore sur certains points.

Mr. Vonthron reprend pour préciser que la commission fait les propositions et que c’est le conseil et le parlement qui  décident de ces nouveaux mécanismes. Par ailleurs, ils n’entreront en vigueur que dans 4 ans environ pour le Canada, après la ratification par tous les États membres. Toutes les auditions de ces cours publiques seront rendues disponibles publiquement  et les juges seront nommés par les gouvernements; ce ne seront  plus alors des arrangements privés comme c’est le cas actuellement dans les quelques 100 accords entre états en vigueur maintenant avec le Canada ; pour sa part la France en a 8; avec l’entrée en vigueur du CETA, c’en sera fini de ces arrangements d’arb-itrages privés qui focalisent ta nt l’attention dans le débat présent.  Ce qu’a négocié et obtenu l’UE, c’est un système beaucoup plus moderne et beaucoup plus public.

Enfin, Mr. Rozière intervient pour dire qu’elle est contre, car selon elle, les cours sont assez capables de vérifier la conformité aux lois européennes ou canadiennes, il n’est pas nécessaire de créer une juridiction d’arbitrage où l’affaire passerait en face du professionnel de l’arbitrage privé. De plus, les arbitres vérifieront, examineront le litige en vertu d’un accord commercial et non pas des législations.

Compte rendu rédigé par les Jeunes européens de Toulouse.

 

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